Si les designers ne sont pas des démiurges, ils dictent néanmoins la question des limites d’une discipline désormais polysémique, trans et intra frontières. Il semble que le design se répande désormais dans d’autres champs (arts, sciences, …), qu’il se modélise différemment (design génératif) et qu’il s’envisage dans une perspective philosophique. Art et design se frôlent donc, s’absorbent parfois dans une dialectique qui fait du Territoire une question centrale. Ainsi s’esquisse une nouvelle cosmogonie du design.
Éric Vandecasteele (Université Jean Monet de Saint-Étienne / CIEREC) et Claude Courtecuisse (artiste, designer, enseignant) ont proposé à la Bibliothèque municipale de Lyon, dans le cadre du cycle « Expériences Design », l’organisation d’un colloque portant sur ces questions.
Afin de croiser regards et réflexions sont donc invités : Roxane Andrès, Arlette Despond-Barré, Denis Brilland, Bernard Darras, Catherine Geel, Joël Gilles, Bernard Lafargue, Philippe Louguet, Patrick Nadeau et Jeanne Quéheillard.
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« S’il ne nous est guère possible d’avancer le mot de discipline à propos du design, c’est justement parce qu’il remet constamment en cause les frontières qui paraissent lui être assignées, il va même jusqu’à s’approprier les techniques, le vocabulaire ou les procédures d’autres domaines ; c’est dans le sens où son territoire d’action n’est pas précisément circonscrit, où ses objets riches d’une polysémie sont insignes en tant qu’ils déjouent toute assignation, où ses pratiques échappent au cloisonnement traditionnel, qu’il nous est possible d’affirmer que le design, à la lettre, est indiscipliné. Par ailleurs, cette idée rejoint celle de Ron Arad qualifiant son activité de designer de no discipline[1] – revendication qui pour le moins atteste que le design est à la croisée de divers champs d’action tout en suggérant que le designer, à la manière de Protée, se dérobe et se refuse à toute fixation possible. L’indiscipline du design fait de celui-ci – pour reprendre le vocabulaire de la chimie – une interface, un point de jonction entre plusieurs milieux ; le design serait ainsi une substance nodale où viendraient se nouer les enjeux d’autres domaines. Depuis son autonomisation en regard de la création industrielle, son statut est dans une fluctuation permanente, c’est par cette souplesse qu’il est le plus à même de rendre manifestes les métamorphoses de notre époque. Le design en soi ne peut plus aujourd’hui se restreindre à l’utopie industrielle, à un expédient doré concernant le devenir de l’objet ; son indépendance est en quelque sorte possible à condition qu’il fasse usage à loisir de sa capacité liante et polymorphique, de sa capacité à absorber, traduire et refléter les inquiétudes et les projets agitant une époque – notre époque – et ses mutations les plus profondes.
Le territoire du design s’ouvre donc, mais cette ouverture en engendre d’autres, puisqu’elle est en effet concomitante à celles des pratiques et des marqueurs de ces pratiques : c’est-à-dire les objets. Dès lors, les entrelacements et les porosités de territoires contribueraient à former un nouveau vocabulaire plastique de l’objet – lequel se comporterait davantage comme un organisme que comme une chose inerte – et de nouvelles pratiques que l’on pourrait qualifier d’organoplastiques. Et ce n’est pas une coïncidence fortuite si l’imaginaire, que l’ouverture entraîne, fait se rejoindre le corps – plus particulièrement les investigations scientifiques dans l’organisme – et le design. L’organoplastie est cette possible formulation d’un glissement de territoire qui se produit entre le corps et l’objet, entre la genesis et la technè. Que cette organoplastie soit réelle (comme avec les objets à croissance spontanée), ou bien métaphorique, elle engendre de nouvelles conceptions de l’objet mais aussi des moyens de production et de création, tout en accompagnant l’émergence d’un imaginaire biologique de nos artefacts.
Le design, en ce sens, permettrait-il une plus grande lisibilité des questionnements attenants à d’autres domaines ? Serait-il l’expression et la formulation de ce qui se trame ailleurs – dans le corps, dans les laboratoires, dans les industries ? »
Roxane Andrès
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NOTE :
[1] No discipline est le titre des deux expositions consacrées au designer qui se sont déroulées, d’une part, au Centre Pompidou (de novembre 2008 à mars 2009) et, d’autre part, au MOMA de New York (d’août à octobre 2009), ainsi que des catalogues relatifs à ces expositions.